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Eunuques pour le Royaume ???

Philippe Liesse
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Le 12 juin 2007, la Libre Belgique publiait une réflexion de l’abbé Eric de Beukelaer, Porte parole des Evêques de Belgique, à propos du célibat des prêtres catholiques.

Rien de bien nouveau sous le soleil de ce 12 juin ! Une constance dans des redites, insignifiantes à nos yeux. Si vous souhaitez lire cet article, il vous suffit de cliquer sur le lien réponse de nos évêques dans les actualités de la page d’accueil.

L’auteur se fait l’écho de la tradition selon laquelle « il est sage que l’homme du sacré soit un homme consacré, ayant reçu l’appel à renoncer aux légitimes joies du couple et de la famille pour être tout à Dieu et tout aux hommes. » Il met ensuite en concurrence le Da Vinci Code avec la mémoire chrétienne qui enseigne que Jésus n’était pas marié, et que ce dernier conseillait aux disciples qui le pouvaient de rester « eunuques pour le Royaume » (Mt 19,12). Il ajoute que St Paul lui-même conseillait le célibat à ceux qui en ressentent l’appel (1 Co 7, 7-9). Il affirme enfin que la discipline catholique offre au sacerdoce une coloration toute particulière en ce que le célibat manifeste dans la chair la primauté absolue du spirituel en imitant avec radicalité le mode de vie célibataire du Christ.

Le 13 juin 2007, la même Libre Belgique publiait dans son courrier des lecteurs la réaction de Madame de Beukelaer, la mère de l’abbé. Celle-ci veut marquer son profond désaccord avec son fils et la hiérarchie qu’il représente. Elle veut dénoncer la dichotomie, sans cesse réaffirmée par la discipline catholique, entre spiritualité et sexualité. Elle veut dire avec force que l’amour entre deux êtres qui s’aiment profondément est spirituel et rayonnant de l’amour de Dieu.

Je ne souhaite pas entrer dans un débat entre un fils et sa mère, même si je partage entièrement la position de Mme de Beukelaer. Je voudrais simplement dénoncer fermement les arguments sempiternellement déployés pour la défense de la loi du célibat. Si le renoncement aux légitimes joies du couple permet d’être « tout à Dieu et aux hommes », la vie de couple serait donc une entrave à une vie toute donnée à Dieu. Voilà donc de l’humain qui devient du bémol au divin. Ceci est inacceptable au plan théologique, car cette théorisation touche directement à l’Incarnation et à la notion même de l’Alliance.

Lorsque l’auteur affirme que la mémoire chrétienne enseigne que Jésus n’était pas marié, il pose un jugement assez rapide. Il y a en réalité une certaine mémoire chrétienne qui l’affirme, parce que cela l’arrange bien, comme le Da Vinci Code imagine Jésus en couple avec Marie-Madeleine, pour la trame du roman. Dans les deux cas, il s’agit de fiction. En effet, force nous est de constater que l’Evangile ne dit rien de la vie affective et sexuelle de Jésus.

Et l’Evangile n’identifie pas les gens par leur état de vie ! La référence à Matthieu 19, 12, « eunuques à cause du Royaume » est tout à fait inadéquate et inopportune dans un débat sur le bien-fondé du célibat. D’abord, Jésus ne conseille pas aux disciples qui le peuvent de rester eunuques, à sa suite ! Jésus ne parle pas de son état de vie ! D’autre part, l’allusion aux eunuques est une réponse à une question des Pharisiens à propos du divorce : « Est-il permis de répudier sa femme pour n’importe quel motif ? » La réponse de Jésus est très théologique, puisqu’il en revient à la volonté du Créateur, « qui les fit homme et femme », « à l’image de Dieu » ajoute la Genèse (1, 27). Jésus évoque donc la sexualité comme structure anthropologique fondamentale, voulue par Dieu, tout en affirmant l’égalité absolue de l’homme et de la femme. Cette affirmation va à contre-courant de la mentalité de l’époque où l’homme a la primauté en tout. Devant une telle radicalité, les disciples disent qu’il n’est pas « avantageux » de se marier. « C’est vrai », dit Jésus, il y en a même qui se sont rendus eunuques à cause du Royaume.

En d’autres termes, ce n’est pas l’état de vie qui rapproche de Dieu. La rencontre de deux êtres qui s’aiment n’est pas plus porteuse de « sacré » que le célibat, mais elle ne l’est pas moins non plus. J’imagine Jésus, aujourd’hui en 2007, devant un parterre de célibataires consacrés, psalmodiant la supériorité de leur état de vie comme symbole dans leur chair de la primauté du spirituel sur le temporel. Il reprendrait Matthieu 19, 12 pour leur dire : « Attention, il y en a même qui se marient et qui sont parabole du Royaume ! Qui peut comprendre, qu’il comprenne ! »

Quant à la référence à Paul, elle me met mal à l’aise, comme toute référence utilisée hors contexte. En effet, Paul parle de lui, mais il est évident que toute son histoire personnelle est à prendre en compte, et que le passage cité doit être lu en écho à d’autres. Ainsi, un peu plus loin, dans sa deuxième adresse aux Corinthiens, il parle explicitement d’une «écharde en sa chair » (2Co 12, 7). Alors ? Son choix du célibat est-il vraiment libre ? On peut tout imaginer… ou plus sagement ne pas transformer un texte en pré-texte pour justifier une théorie.

Un état de vie qui rapprocherait plus du Christ ? Non, mille fois non ! C’est chacune et chacun qui peut emboîter le pas au Christ en regardant le monde avec ses yeux, en aimant de sa passion, en respirant de son souffle. Le Christ invite simplement à vivre l’Evangile, c’est-à-dire à aimer passionnément… Mais l’amour du Christ n’entre pas en concurrence avec nos amours humaines, comme nos amours humaines ne viennent pas bémoliser l’amour pour le Christ, sinon l’amour est perdant, car réducteur. La discipline catholique du célibat n’offre pas une coloration particulière au ministère sacerdotal, mais elle le décolore en tant que passage obligé. Seule la liberté est coloration qui épanouit.

Le célibat redeviendra porteur de sens quand il ne sera plus la condition sine qua non pour l’exercice du ministère. Quand des célibataires se retrouvent entre célibataires pour décider et affirmer que le célibat est d’une conformité plus radicale au Christ, je ne doute pas que la formation qu’ils prodiguent aux futurs prêtres relève plus du formatage que de la formation.

Philippe Liesse


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