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Pierre de Locht et "les athées tranquilles"…

Rosine Lewin
Publié dans Bulletin PAVÉS n°11 (6/2007)

Mes premiers contacts avec Pierre de Locht remontent au temps d’un CEFA encore ‘traditionnel’, c’est à dire avant la crise de 1973. Cela s’est passé à la fin des années soixante, à l’heure des grands remous conciliaires et post-conciliaires à propos desquels je m’efforçais de recueillir le maximum d’informations. Les Feuilles familiales paraissaient toujours ; les problèmes de conscience de l’aumônier de Locht relevaient encore du domaine privé, mais le monde catholique bougeait, fermentait même. Humanae vitae (1968) avait suscité une émotion et des controverses sans précédent ; de divers ‘hauts-lieux’ surgissaient interpellations et interrogations ; les laïcs élevaient la voix… La crise du CEFA s’inscrit dans les remous créés par Vatican II [1].

Les sanctions qui ont frappé de Locht en 1973 concernent à la fois son action de terrain au CEFA et son enseignement à l’UCL à l’institut des sciences familiales et sexologiques. Au cœur de l’affrontement : les devoirs du prêtre face aux problèmes du couple, du contrôle des naissances, de l’interruption de grossesse. L’arrestation du Dr Willy Peers, le 17 janvier 1973, déclenche une accélération du processus. Il s’engage sans équivoque contre l’incarcération du gynécologue et pour l’ouverture d’un large débat, provoquant le durcissement – qui sera durable – des autorités ecclésiastiques.

Mes rencontres avec Pierre changent elles aussi de caractère en janvier 73 : dépassant le souci d’une meilleure information mutuelle, nous nous retrouvions soudain – avec des dizaines de milliers de citoyens – du même côté de la barricade, du côté de Peers. Toutes nos motivations n’étaient certes pas identiques, mais elle se rejoignaient pour défendre le lucide courage du gynécologue et le droit des femmes à maîtriser la reproduction.

Jamais il n’y a eu de la part de Pierre un signe pour marquer ses distances à l’égard de ‘l’infidèle’ que je suis. Un scrupuleux respect de l’autre et une très grande courtoisie étaient la marque de Locht.

Trois ans plus tard, il m’invite à une session de réflexion du CEFA à Blankenberghe : je suis priée de venir témoigner de ce que sont mes rapports (ou non-rapport) avec la religion, les églises, les croyants, la morale. Je me souviens de mon anxiété en prenant place dans un auditoire qui me paraissait immense, surtout masculin, peuplé de prêtres, de séminaristes et de croyants ‘ordinaires’.

Cela s’est bien passé, à en croire Pierre et de nombreux auditeurs inconnus qui, revenus de leur surprise, se déclarèrent intéressés par la jonction que j’opérais entre l’athéisme (un athéisme ‘tranquille’), mon éducation dans un milieu juif, mon adhésion au PC. L’exercice a été renouvelé plusieurs fois.

Le souvenir de Blankenberghe reste lié au rôle joué alors par Laure G., assistante au PC. C’était une femme d’une cinquantaine d’années, petite, au visage banal, d’une rayonnante gentillesse. Elle m’a pilotée jusqu’au local où je devais officier, me rassurant et m’enveloppant de prévenances. J’ai beaucoup pensé à Laure par la suite : elle présidait une association de mères de prêtres et elle a vécu dans la souffrance les distances prises par son fils envers l’Église. Souffrances aggravées quand sa fille et son gendre décidèrent de divorcer. Ce fut un vrai naufrage, non pas de Laure, mais de certaines de ses certitudes.

Douze ans après ‘l’affaire Peers’, Pierre m’invite à participer à une ‘route’ en Palestine, organisée par la Paroisse Libre. Dix journées inoubliables : combinaison étonnante entre d’une part l’aspect ‘pèlerinage en Terre Sainte’, ponctué de célébrations rustiques, et d’autre part l’enquête sur le quotidien des territoires palestiniens occupés par Israël. Haltes au Mont Sinaï, à Hébron, à Jéricho, à Jérusalem, au bord du Lac de Tibériade, avec à la clé, des lectures sensibles et érudites de la Bible par Pierre ou Suzanne van der Mersch, et des échanges avec les Palestiniens. Je me souviens d’une conversation un peu vive, avec Pierre, sur les Béatitudes, dont il aimait louer la grandeur. Pour ma part, la parole ‘Heureux les pauvres’ évoquait les pressants appels à la résignation lancés en chaire tout au long du 19e siècle par des exploiteurs aux exploités, au nom de la Providence, et parce que ‘la pauvreté est voulue par Dieu’. Sans doute, Pierre m’a-t-il montré la validité de sa lecture des Béatitudes, mais je n’ai jamais surmonté mes réticences…

Les rencontres avec Pierre, jamais banales, se sont poursuivies, il est vrai à un rythme moins soutenu. J’ai participé aux activités de la Fondation Peers à ses débuts mais je n’ai pu y rester assidue. Restent des dates-clés : rencontre festive pour ses cinquante ans de prêtrise, le 15 septembre 90. Déplacement collectifs à Evreux en janvier 95, pour la messe d’adieu de Jacques Gaillot, expulsé vers le lointain. Il m’importait de voir de près qui étaient ces chrétiens qui, en dépit des pressions, s’affirmaient solidaires d’un évêque sanctionné par la hiérarchie.

Rencontres de travail pour préparer conférences ou colloque, notamment sur la diversité des spiritualités : dans ce cadre, le chaleureux dialogue entre Suzanne van der Mersch et Madeleine Moulin en 98 aura constitué un sommet.

La puissance de travail de Pierre était considérable, il n’était pas facile de le suivre. Loin de craindre les confrontations d’idées, il me semble qu’il y voyait des défis à relever - calmement.

Au fil des ans, grâce à une curiosité et une ténacité jamais prises en défaut, la cohérence du personnage s’affirmait et s’épanouissait.

Indissociable de ce parcours : Suzanne et son sourire de jeune fille, Suzanne fragile et si forte, Suzanne-la-vie, Suzanne-la-douceur. Grâces lui soient rendues !

Une leçon majeure se dégage des quelque trente-cinq ans de relations avec Pierre et Suzanne : ne pas s’attarder aux titres des gens, aux étiquettes dont ils sont porteurs, mais tenter plutôt de comprendre ce qui les grandit et les dynamise. Ce n’est pas le sentiment religieux qu’il s’agit de combattre, mais les appareils de pouvoir qui s’en servent. Cette très vieille vérité, l’itinéraire de Pierre l’a illustrée avec fermeté.


Rosine Lewin (Femmes pour la Paix)

Notes :

[1] Remous si inhabituels que même Le Drapeau rouge  tentait de les analyser. En 1967 Pierre Joye et Rosine Lewin publiaient un livre intitulé : L’Église et le mouvement ouvrier.



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