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Sans papiers. Les parias du monde occidental

Xavier Godts
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Un long combat

C’est pleins d’espoir qu’un jour de 1998 quelques dizaines de sans papiers s’installèrent dans l’église du Béguinage à Bruxelles, avec le soutien du Ciré (Coordination et initiatives pour et avec les réfugiés et étrangers). Pour frapper l’opinion, des occupations d’églises démarrèrent dans d’autres villes : Gand, Liège…

Pendant deux ans, des personnes isolées mais aussi des familles avec enfants survécurent tant bien que mal dans une église glaciale, dépourvue d’installations sanitaires correctes. La nef du Béguinage avait pris l’aspect d’un village de tentes blanches où l’on cuisinait sur des réchauds de fortune, où l’on dormait, où on discutait longuement, où on faisait de la musique, où des dissensions éclataient. De temps en temps des fêtes étaient organisées où l’on s’encourageait à tenir bon, où des groupes musicaux apportaient leur soutien. L’occupation prit fin en novembre 2000 avec l’incendie accidentel de la toiture du bâtiment.

C’est à ce moment qu’une vague de régulations eut lieu. Encore en juillet 2006, les Iraniens en grève de la faim aux Minimes ont été régularisés.

D’autres lieux

Mas le combat continua dans d’autres lieux : les locaux désertés de l’ambassade de Somalie, avenue Roosevelt, devinrent, sous le nom d’ « Ambassade universelle », une sorte de plaque tournante du mouvement. L'Ambassade universelle (AU) se présente comme « une maison dont la fonction première est l'accueil d'urgence de personnes sans papiers. Ce lieu s'est mis en place par les sans papiers eux-mêmes. L'AU est un espace où les sans-papiers peuvent partager leur expérience, s'entraider et développer une parole publique »

Et d’autres églises furent investies : Ste Suzanne, Ste Croix, St Boniface, Notre-Dame Immaculée, Curé d’Ars… - une quarantaine en tout ! Des solidarités se manifestèrent, notamment par la création d’ « assemblées des voisins et voisines » qui, tout en apportant un soutien logistique précieux, contribuent à la lutte sur le plan institutionnel. L’un des points de leur charte spécifie :

« L’Assemblée des Voisins et Voisines resitue le problème des Sans-papiers dans le double contexte des mouvements de la mondialisation et de la nécessité de la justice sociale ; s’inspirant de la Convention des Droits de l’Homme, elle ne propose pas de solution toute faite mais cherche à contribuer à partir des flux migratoires, à l’invention d’un nouveau vivre ensemble qui se joue aujourd’hui localement et globalement sur notre planète ; elle estime qu’il est nécessaire d’utiliser à cette fin toutes les ressources intellectuelles, créatives, artistiques, techniques et économiques disponibles. »

Des sans-papiers se regroupèrent dans l’UDEP (Union de défense des sans papiers) qui est un mouvement national créé et géré par et pour les sans-papiers. Il se veut ouvert à tous sans distinction d’opinion politique, de nationalité, de sexe, de religion, de langue. Suite à la marche européenne des sans-papiers en juin 2004, plusieurs d’entre eux se sont organisés. Le premier bureau de l’UDEP fut ainsi créé à Liège. L’UDEP existe aujourd’hui dans plusieurs grandes villes en Belgique (Liège, Bruxelles, Charleroi, Anvers, Verviers, Gand, Louvain, Morlanwelz, Mons…).

A noter qu’une autre organisation s’est créée sous le nom de Collectif des sans papiers en lutte, qui cherche à se démarquer par sa radicalité.

Interpellations

En septembre 2007, l’église du Béguinage fut à nouveau sollicitée en vue d’une occupation. Une concertation avec les membres de la paroisse aboutit à la mise sur pied d’une semaine de débats publics et d’interpellations, où l’on put entendre des personnalités des mondes politique, syndical, associatif…

Mais, désespérant de trouver une solution par la voie du dialogue, un certain nombre de sans papiers de diverses nationalités voulaient passer à une action plus dure : ils entamèrent le 19 septembre une grève de la faim dans les locaux d’un complexe sportif situé à Evere mais mis à leur disposition par le bourgmestre de Saint-Josse.

Mais hélas, en cette période de crise gouvernementale prolongée, aucune décision ne semble pouvoir être prise. La grève de la faim a été interrompue, sauf par une poignée d’Afghans qui l’ont poursuivie au péril de leur vie et qui ont été rejoints par des membres de la communauté St François de Louvain-la-Neuve. Après 55 jours de jeûne, les 18 Afghans ont cessé leur grève de la faim, une mesure de « protection subsidiaire » leur ayant été proposée.

Le 3 novembre, l’UDEP, soutenue par diverses organisations belges, appelait à une « marche des immigré(e)s sans papiers » et déclarait se joindre aux appels pour « la mise en place d’un Conseil, dans un délai raisonnable et doté de réels moyens, pour évaluer les décisions prononcées par l’Office des Etrangers et pour que le Parlement se saisisse réellement de cette évaluation. Nous demandons la mise en place d’un moratoire sur l’enfermement et l’éloignement des personnes sans papiers présentes sur le territoire avant janvier 2006 ».

Entre-temps, l’émoi suscité par l’enfermement de la petite Angelica et sa maman Ana, d’origine équatorienne, est venu rappeler une nouvelle fois que la détention des familles avec enfants en centre fermé est une pratique inacceptable. Aujourd’hui, plusieurs associations demandent la libération de toutes les familles avec enfants. Cette décision, confirme le CIRE dans un communiqué daté du 27 juillet, est d’autant plus importante que des milliers de personnes sans-papiers attendent du prochain gouvernement qu’il prenne des décisions en matière de régularisation et mette en place des critères clairs et permanents

Un accord au goût amer

Le 9 octobre 2007, les partenaires de l’ « orange bleue » (soit les partis politiques censés jeter les bases d’un nouveau gouvernement) ont accouché d’un accord selon lequel les personnes en situation irrégulière qui ont un travail pourront être régularisées, tandis que les autres le seront au cas par cas.

Pour Dorothée Klein, dans Le Vif-L’Express du 12 octobre, cet accord a un goût amer : « la peur et l’opportunisme l’ont emporté sur les préoccupations humanitaires. L’immigration est ressentie comme une menace par la société. Il faut donc la limiter, avec des conditions plus strictes au regroupement familial, en matière de revenus, et pour l’acquisition de la nationalité belge, désormais liée à la connaissance obligatoire d’une des trois langues nationales ».

Pascal André, dans Dimanche du 21 octobre, regrette « que les négociateurs se soient seulement préoccupés des besoins de nos entreprises et n’aient pas tenu compte davantage du développement des pays du Sud. En effet, si nous privons ceux-ci de leurs meilleurs éléments, comment parviendront-ils à sortir de la misère ? »

Le Forum Asile et Migrations (FAM) estime que l’accord ne rencontre pas ses attentes fondamentales mais comporte néanmoins des avancées. Pour le FAM, c’est « un accord en demi-teinte qui comporte encore des incertitudes et plusieurs zones d'ombres. Le FAM entend contribuer à les éclairer et à les définir positivement dans les semaines et les mois à venir. En conséquence des mesures proposées dans cet accord, nous demandons avec insistance un moratoire sur les décisions négatives rendues pour le moment dans les procédures de régularisation ainsi que sur l'enfermement et l'éloignement des personnes susceptibles de rentrer dans les conditions avancées dans l'accord ».

Enracinement biblique

L’amour de l’étranger, l’accueil de l’étranger constituent des devoirs fondamentaux pour l’ancien Israël, et l’hospitalité est largement mise en valeur dans la tradition biblique : « L’étranger qui réside avec vous sera pour vous comme un compatriote, tu l’aimeras comme toi-même : car vous avez été des étrangers dans le pays d’Egypte » (Lévitique 19, 33-34).

Quant à Jésus, il épouse dès le début de sa vie les conditions de l’exil, et tout son enseignement insiste sur l’accueil et l’attention aux exclus, aux marginalisés. Il n’est que de se souvenir de la parabole du bon Samaritain.

Du message de Jésus, saint Paul va tirer une conclusion on ne peut plus claire : « Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme ; car tous, vous n’êtes qu’un en Christ » (Epître aux Galates 3,27-29).

En 1993 Jean-Marie Faux publiait, aux Editions de l’Institut d’Etudes Théologiques, et avec le concours du Centre AVEC : « Réfugiés et nouvelles migrations. Une interpellation pour la conscience chrétienne ». De cet ouvrage toujours d’actualité nous tirerons la conclusion suivante :

« Quelle que soit l'évolution des situations mondiales, le principe du droit d'asile doit être maintenu. Selon les ter­mes du «manifeste de solidarité» de Caritas catholica "chaque personne fuyant la violence, l'oppression et la persécution a droit à la protection et à l'accueil". C'est un principe absolu qui postule à tout le moins que chaque demande soit prise en compte et examinée sérieusement. Le droit à émigrer, à quitter son pays et à s'établir ailleurs, nous est apparu comme une prérogative de la liberté. Mais cette liberté n'est pas arbitraire; elle est conditionnée par la liberté des autres et par le bien commun. Encore ne pouvons-­nous admettre que les mouvements de population soient uni­quement régis par des impératifs économiques ou des rap­ports de forces. D'une part, les appartenances nationales (…) sont transcendées par la commune humanité; d'autre part, la destination uni­verselle des biens ne permet pas plus à une collectivité natio­nale qu'à une personne privée ou à un groupe leur appropria­tion exclusive. Le repli de l'Europe ou d'un quelconque des pays qui la compose à l'abri de frontières étanches est aussi impossible qu'illégitime. On ne maîtrisera pas les flux migra­toires, mais il faut s'efforcer de les gérer humainement, et cette gestion est un élément nécessaire d'une politique plus générale de solidarité mondiale ».


Xavier Godts


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