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Une sainte emmerdeuse !

Philippe Liesse
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Si le mot est monnaie courante dans notre langage familier, il a d’habitude une connotation injurieuse. Á y regarder de près, il renvoie aussi, de manière moins prosaïque, à l’idée de celui qui dérange, qui secoue, qui titille, qui provoque, qui réveille, qui met en question !

Alors oui ! Sœur Emmanuelle est de cette trempe là ! Elle dérange !

Elle s’en est allée à la veille de son centième anniversaire, à l’âge où on ne compte plus les rides, mais où on les fête. Sa voix chevrotante, mais toujours questionnante, ne viendra plus secouer nos habitudes et nos attitudes de replis ! N’empêche ! Qui a entendu, ne fût-ce qu’une seule fois, Sœur Emmanuelle, n’en sort pas indemne. Et qui veut bien la rencontrer, dans ses souvenirs et ses écrits[1], en sortira requinqué pour un plus d’humanité !

Sœur Emmanuelle dérange par sa sincérité. Si elle est connue pour son engagement envers les plus pauvres, les miséreux, les chiffonniers du Caire, elle n’a jamais voulu être confondue avec une championne de charité pour bien-pensants. Elle a toujours interpellé les grands tout en aidant les petits au ramassage des déchets ; elle n’a jamais hésité à pourfendre les politiques quant à leur responsabilité sur le progrès de la misère dans le monde.

Sœur Emmanuelle dérange quand elle quitte les canons d’une vie religieuse idéale, toute emprunte de piété et d’angélisme. Elle confesse son penchant pour la volupté et son obsession de la sensualité[2], son combat à la manière de St Paul qui lui fait dire jour après jour : « Ma puissance donne sa mesure dans la faiblesse. »

Sœur Emmanuelle dérange car elle n’hésite pas à s’inscrire en faux contre l’enseignement du magistère romain à propos de la contraception. Son discernement et sa lucidité ont pacifié bon nombre de femmes culpabilisées dans leur vie conjugale ou tout simplement féminine.

Sœur Emmanuelle n’hésitait pas non plus à pointer d’un doigt accusateur la loi du célibat ecclésiastique. Certes, elle ne regrettait pas d’avoir choisi le célibat, mais elle refusait qu’un état de vie soit spiritualisé au détriment d’un autre, au point d’être imposé à celui qui voulait exercer un ministère dans l’Eglise !

Sœur Emmanuelle dérange parce qu’elle reconnaît elle-même qu’elle est une emmerdeuse. Son admiration pour Pascal est connue : « Qui veut faire l’ange, fait la bête. » Elle n’hésite pas à écrire : « … la bête n’a pas encore fait place à l’ange [3]. » Ainsi, elle confesse en toute simplicité que des gens en ont « marre de son matriarcat, qu’il faudrait être masochiste pour travailler directement sous les ordres de ce Napoléon »[4].

Non, Sœur Emmanuelle n’entre pas dans le moule des saints qui garnissent nos autels. Mais elle est sainte dans nos cœurs, dans nos cœurs de chair, parce qu’elle est une femme pétrie d’humanité, de lucidité, de courage, de tendresse non calculée et non complotée.

Nous pouvons l’imaginer, se promenant au paradis, faisant un brin de causette avec l’abbé Pierre. Deux vieux, assis sur un banc, appuyés sur leur canne, s’interpellant dans un sourire : « Et alors, ma vieille, quoi de neuf en bas ? La pauvreté, croissance ou décroissance ? » Et la vieille chevrote dans l’oreille du vieux : « Ils sont débordants d’imagination, ils ont dégoté tous les milliards nécessaires pour le salut des banques ! »

Et le salut de nos âmes ! Ô toi, sainte emmerdeuse, prie pour nous.

Philippe Liesse

Notes :
[1] SŒUR EMMANUELLE, Confessions d’une religieuse, Flammarion, 2008
[2] opus cit. p. 25 [3] ibidem p. 303 [4] ibidem p. 304



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